Etude
d’éducateur spécialisé : « Conduite d’un entretien, critiques,
réflexions, bénéfices… »
« Si j’évite de m’immiscer,
Les hommes prennent soin d’eux-mêmes ;
Si j’évite de donner des instructions,
Les hommes trouvent d’eux-mêmes le comportement
juste. »
LAO-TSEU (VI aime siècle avant J. C.),
philosophe chinois, phrase citée par Carl ROGERS pour résumer sa conception de
la « non directivité »
***
SOMMAIRE
Avant-propos
Introduction
L’entretien
Sa préhistoire, son histoire, mon vécu...
Analyse
de l’entretien avec B.
* Le
choix du thème et de la personne
* Les
conditions et les facteurs de l’entretien-
Le contexte - Ma critique
* La
conduite de l’entretien
L’entretien
dans l’établissement dans lequel je travaille -
Liens
avec l’expérience de cette conduite d’entretien
Conclusion
Bibliographie
***
Avant-propos
Communiquer, écouter, comprendre,
accompagner, soutenir pour aider l’autre, ces quelques termes pourraient
peut-être résumer, synthétiser une partie importante et essentielle du travail
de l’éducateur, de mon travail au quotidien auprès d’enfants en difficulté, de
leurs familles souvent démunies face aux troubles de ceux-ci, mais aussi, pour
beaucoup d’entre elles, face à des problèmes relationnels, sociaux, médicaux...
Mais pouvoir comprendre l’autre
reste souvent difficile, tant cela demande volonté, ouverture et humilité, une
démarche profonde en direction de celui-ci, tout en gardant une place pouvant
faire naître échange et communication, permettre à l’autre personne de
s’engager dans la relation, mais aussi, ouvrant une réelle démarche d’écoute,
d’entente des besoins, de compréhension de ceux-ci pour, à son tour, s’engager
dans un choix réfléchi et fondé de l’aide et de l’accompagnement...
Dans ce cadre, l’écoute démontre
alors toute son importance, puisqu’elle est au départ de toutes les autres
démarches.
Cependant, je me suis souvent
aperçu, tant dans ma pratique professionnelle que dans ma vie privée, que
l’écoute pouvait parfois s’avérer difficile à instaurer.
Pour quelles raisons ?
Et surtout, à partir de l’instant où
je m’engage dans une démarche d’écoute, qu’est ce qui se joue dans cet espace
relationnel qui stimule ou, au contraire gêne l’écoute, qui encourage l’autre à
parler ou à se taire dans cet instant donné ?
Dans mon cadre professionnel, j’ai
souvent été amené à conduire des entretiens avec les enfants et/ou leurs
familles pour tenter de mieux comprendre leurs difficultés, leurs attentes,
leurs besoins, afin de définir ensemble, puis suivre régulièrement un projet
individualisé et adapté.
J’ai pu remarqué combien cela
pouvait parfois s’avérer compliqué tant ces entretiens demandaient toujours la prise en compte d’un
certain nombre de points essentiels comme le choix symbolique du lieu, la mise
en confiance, l’ouverture, l’écoute, la place dans l’évocation de l’autre, mais
aussi, la disponibilité, la patience, le recul, la non-interprétation immédiate
ou encore la non prise en compte de la subjectivité personnelle (...) et que
parfois, ces points cités n’apparaissaient pas pour quelques raisons qu’il
soit, ou que la place de chacun avait changé faute de cadre ou encore
d’engagement mutuel...
La conduite d’entretiens et l’écoute
sont des outils fondamentaux de la relation d’aide et du travail
d’accompagnement éducatif. Elles demandent cependant une réflexion profonde de
leurs démarches, leurs utilisations, leurs processus, leurs richesses, leurs
possibilités...
Aussi, s’arrêter sur un entretien, lui apporter
d’une forme “d’introspection” peut permettre de mieux comprendre les
enjeux relationnels, l’ampleur des
possibilités, réajuster des attitudes, affiner son écoute...
Introduction
Je me propose, dans cet écrit
spécifique d’effectuer un travail de réflexion et d’analyse autour de la
conduite d’un entretien.
Ce travail s’articule autour de 2
phases :
-
mener un entretien “non directif” avec une personne qui m’est inconnue,
autour du sujet que j’aurais préalablement choisi (en dehors du champ social). J’aurais
enregistré cet entretien afin de pouvoir l’analyser après coup…
-
retranscrire par écrit la conduite de cet entretien et apporter une analyse
critique de ce travail, tant à un niveau pratique que théorique.
Avant de présenter cet entretien, et
l’analyse personnelle que j’y apporte, il me paraît important de lever un
paradoxe “littéral” entre les termes “conduire” et “non-directif”.
En effet, le terme “conduire” évoque
irrémédiablement une idée de diriger, de mener, alors le terme de
“non-directivité” indiquerait rigoureusement le contraire.
Si le terme “conduire” reste
facilement compréhensible, le terme de “non directivité” doit être
défini afin de comprendre la combinaison “conduire” un entretien “non-directif”.
La “non directivité” est une
notion introduite par Carl Rogers en 1950[1].
Cependant, souvent comprise comme un
“non interventionnisme” ou un “parfais laisser-faire”, et, du fait donc de
déformations ou de contre-sens, Carl ROGERS préfèrera, par la suite,
parler de “centration sur le client”.
Ainsi, la notion de “non
directivité” ou de “centration sur le client” (ou dans notre cadre
de “centration sur la personne”dans l’entretien) définit la démarche de
compréhension des problèmes tels que la personne les éprouve, ceci supposant
des principes claires que sont, l’attitude d’intérêt ouvert ou la disponibilité intégrale, sans
préjugé, ni à priori de la personne, une attitude d’encouragement continu à
l’expression spontanée de l’autre, une attitude de non-jugement permettant de
tout recevoir, de tout accueillir, sans critique, ni culpabilisation, ni
conseil, une attitude laissant à la personne l’initiative complète dans sa
présentation de ce qu’il souhaite dire (sans chercher à vérifier), une intention
authentique de comprendre l’autre, de penser dans ses termes, d’entrer dans son
univers subjectif, de saisir les significations que les situations ont pour la
personne, un effort pour rester objectif et pour contrôler tout ce qui se passe
dans l’entretien.
A partir de cette définition du
terme de “non directivité”, l’acte de “conduire un entretien “non
directif” devient concevable et prend tout son sens : instaurer un cadre où
se mènera cette conduite, un cadre qui contiendra l’écoute de l’autre et
l’ensemble des attitudes proposées ci-dessus.
L’entretien
Sa préhistoire, son histoire, mon vécu...
A la suite de ce projet de travail
sur la conduite d’un entretien, je commençais à réfléchir à un choix de sujet.
Vers quelle direction allais-je
aller ?
Comment allais-je faire mon choix
d’un sujet qui devait, à la fois me permettre d’entrer en relation avec une
autre personne, d’aller à sa rencontre à travers un thème, mais aussi proposer
un cadre, toute en offrant une écoute profonde et bienveillante ?
Dans un premier temps, un grand
nombre de sujets me traversait l’esprit, sujets d’actualité, sujets me posant
questions, sujets plus larges...
Ce choix me paraissait difficile à
faire, d’autant plus que je ressentais progressivement une appréhension difficile
à définir, comme une sorte de non maîtrise du travail proposé, une crainte dans
l’engagement de celui-ci.
Ce choix était aussi certainement
difficile, car je commençai à entrevoir en projection qu’un sujet trop affectif
me poserait peut-être problème et que, à l’inverse, un sujet trop éloigné de
mes centres d’intérêt pourrait parasiter cette fameuse écoute authentique et
empathique.
C’est en fait par hasard que le
sujet me vint en tête, en même temps que le choix de la personne.
Lors d’une soirée avec des amis, je
fis la connaissance d’une personne chez elle.
Au détour de quelques échanges,
j’appris que cette personne était une grande lectrice de livres et d’ouvrages
diverses. L’observation de son appartement venait me confirmer matériellement
ces faits, puisque je m’étais dit que celui-ci ressemblait à une véritable
bibliothèque.
Ce choix venait très certainement
répondre à une question personnelle sans être trop affective sur l’acte de
la “lecture-loisir” ainsi que la
“lecture-insatiable”, ce, surtout autour d’une notion de plaisir que je ne
ressentais pas.
A la fin de cette soirée, je lui
proposai de participer à cet entretien, restant très évasif sur l’objet, lui
présentant celui-ci comme étant un travail d’étude.
Cette personne accepta spontanément
de jouer le jeu, et c’est quelques jours plus tard que nous rencontrâmes chez
moi pour cet entretien.
Entre temps, l’appréhension que je
décrivais quelques lignes avant avait quasiment disparue tant j’avais repris
confiance et pressentais plus favorablement mon travail.
Fort du choix et de la personne
trouvés, je préparai une dizaine de questions et commençais à réellement
réfléchir sur l’entretien “non directif”, centré sur la personne.
Comment allais-je accueillir
celle-ci, comment allais-je introduire mon sujet, le thème ?
Le choix et la place de mes 10
questions semblaient suivre une chronologie logique.
Mais seraient-elles ressenties aussi
logiquement par mon interlocuteur ?
Ma représentation de la lecture
n’était, sans doute en effet, pas la même que la sienne.
La personne que j’allais interviewer
(que je nommerai B.) était un homme d’une quarantaine d’année, instituteur,
vivant seul, ayant 2 enfants qu’il accueillait le week-end.
Il était certainement ce que je
pouvais qualifier d’un lecteur passionné par l’acte de lire, mais aussi par
l’objet réel et symbolique qu’est le livre.
J’avais défini clairement le cadre
de cet “exercice”, de cet entretien...
Il s’appuyait sur “l’idée-force” de
l’ouverture d’un champ de parole à une personne sur un sujet et le lien qu’elle
pouvait avoir avec celui-ci, ceci dans le but de lui donner l’occasion de
s’exprimer au plus près de ce qu’elle en pensait, ce qu’elle en savait, ce
qu’elle en ressentait. Cependant, un autre axe était tout aussi important dans
ce travail, il s’agissait de devoir conduire cet entretien, de manière
non-directive, ce qui signifiait, pour moi, de ne pas induire ou orienter les
propos de mon interlocuteur, ne pas l’évaluer, le juger, ne pas évoquer mon
avis personnel, mais au contraire, le soutenir, l’encourager, lui permettre de
s’ouvrir en toute quiétude.
Il me fallait alors être capable
d’écouter profondément l’autre, de recevoir, en “lâchant”, défenses, croyances,
doutes ou certitudes.
Il me fallait aussi prendre en
compte et surtout prendre conscience de deux points qui pouvaient permettre,
pendant l’entretien, de rassurer et relancer mon interlocuteur : les tokens,
de petits bruits ou des mots sans réel sens indiquant à la personne notre
présence et notre écoute authentique, attentive, encourageante; les reformulations,
permettant la relance, la prise en considération et le mise en relief des
propos de l’autre...
Je m’efforçais de mémoriser et
surtout d’intégrer ce cadre de référence et de conduite, afin de m’en
imprégner...
Le jour de mon entretien : samedi,
14h30, j’accueillais B. chez moi pour l’entretien qu’il avait accepté de me
donner, auquel aussi, il avait accepter de se donner, tant cet entretien allait
nous montrer à tous deux, durant toute sa durée, et après sa fin, une émotion,
à la fois individuellement vécue, mais aussi mutuelle dans l’échange.
Je l’invitais à s’installer sur une
chaise en face de la mienne dans un lieu symboliquement destiné au travail, à
la réflexion, mon bureau.
Le microphone était posé à notre
droite, dirigé exactement entre nous.
Après quelques échanges de politesse
et de bienveillance réciproque, permettant sans doute la prise de contact, une
forme de “sasse de prise de marques” et mise en confiance mutuelle, je lui
proposais le thème que j’avais choisi et qu’il ne connaissait pas encore, et
lui demandait si cela lui convenait. Il me répondit que cela l’intéressait
beaucoup.
Après lui avoir demander s’il était
prêt pour cet entretien, je lui présentais la durée prévue et enclenchais le
magnétophone.
Dès le départ de la cassette, je
ressentis une forme de crainte à démarrer mes questions, à entrer dans le vif
du sujet, à accueillir l’autre dans le thème que j’avais seul choisi.
Paradoxalement, B. me renvoyait
l’image d’une personne sereine, attentive et positivement impatiente de
s’exprimer.
Cette image, ce ressenti m’a paru
amplifié cette appréhension à m’engager, comme si j’avais eu l’impression, à ce
moment, de perdre la maîtrise de la conduite face à la tranquillité de B., face
à ma représentation de d’une maîtrise
qu’il pouvait avoir du sujet...
Puis j’introduisais, non sans mal
mon questionnaire après l’avoir remercier de se prêter à cet entretien sur le
thème de “la lecture” et d’accepter qu’il soit utilisé dans le cadre d’un
travail d’étude.
Une fois, ces quelques mots énoncés,
le sujet était lancé, l’appréhension inconsciemment rejetée pour laisser place
à l’échange, l’écoute…
M’appuyant sur le cadre de la commande donnée et sur la
notion d’ouverture à l’autre, j’allais découvrir, tout au long de cet
entretien, une partie profonde de B., mais aussi, réciproquement, quelque chose
de moi à travers lui et dans cette écoute.
Cet homme se révélait progressivement, je l’écoutais parler
de son plaisir, de ses passions, de lui, parallèlement, je ressentais
spontanément de nombreux mouvement en moi.
Parfois, je ne l’entendais plus, parfois j’aurais voulu le
contredire, le juger, je n’étais pas toujours d’accord, parfois encore je
l’enviais, d’autre fois le contraire, mais surtout, je sentais que nous
passions, tous deux, par des phases d’émotions, plus liées je crois par
l’aspect relationnel que le contenu des réponses au sujet.
Avais-je touché, à des moments, cette écoute authentique ?
B. avait-Il réellement trouvé, au détour de cette relation,
l’assurance, la sollicitation à aller plus loin dans sa pensée, dans sa
personne ?
Qu’est ce que j’avais laisser transparaître quand ses
propos, ses représentations bousculaient les miens ?
En tous les cas, cet entretien semblait quelque peu dépasser
l’idée que je m’étais fait de l’exercice.
Ceci était peut-être du, en partie, à l’observation et
l’intérêt plus profond que je lui portait à ce moment, mais cette prise de
conscience me marquait.
L’entretien m’a semblé augmenter en sensibilité et en compréhension
mutuelle jusqu’à sa fin, ponctué, cependant par certains moments sans doute
plus compliqués, surtout pour moi, comme des mauvaises relances, des reformulations
inadaptées, une écoute parfois moins
profonde et attentive, bloquant l’élan de mon interlocuteur, car ramenée à la
réalité que je m’étais peut-être trop strictement et maladroitement donné de
mon cadre.
Mais à la fin de l’entretien, B. me faisait part du plaisir
qu’il avait pris pendant ces 30 minutes, et rajoutait qu’il aurait bien
continuer un peu plus.
Pour ma part, je partageais cette notion de plaisir, tout en
lui expliquant mon appréhension de départ et mes quelques relances maladroites
que j’avais pu capter, sachant qu’il devait y en avoir bien d’autres !
Je me sentait touché par cet échange que j’avais vécu
fortement car je ressentait qu’il avait dépassé le simple exercice de
l’entretien, même s’il m’étais encore difficile d’en expliquer la raison.
Dans ce contexte, même si le choix ne pouvait être anodin,
le thème m’apparaissait alors être le prétexte à l’expression et à la
découverte de l’autre, mais aussi de soi face à l’autre.
B. voulut en savoir plus autour de ce travail sur la
conduite de l’entretien. Cette expérience à présent vécue l’intéressait
beaucoup, il évoquait l’apport possible, dans son cadre professionnel, dans son
travail et sa relation d’aide auprès de ses élèves.
Je ne pouvais encore lui répondre clairement, mais je
m’engageais à lui faire part plus tard de mon travail.
Je pense qu’une relation forte s’était instaurée dans ce
temps donnée et repéré, peut-être à notre insu, peut-être inconsciemment,
involontairement et pourtant si clairement.
Analyse
de l’entretien avec B.
Cette analyse se base sur ma perception des différents
facteurs et conditions de l’entretien, puis, sur une observation critique de
son déroulement, de ma place, mes interventions, mon attitude, mes ressentis…
* Le choix du thème et de la personne
Le thème m’a été difficile à trouver.
J’avais pensé au départ à un certain nombre de sujets, mais
j’avais du mal à arrêter un choix.
J’avais pris conscience, me semble-t-il, de l’importance du
thème dans ce travail, même s’il m’étais encore difficile, à ce moment, d’en
définir très exactement la raison...
J’entrevoyais cependant la nécessité de choisir un thème sur
lequel je portais un intérêt afin de pouvoir plus facilement, mais aussi plus
authentiquement m’y investir, y apporter une réelle écoute attentionnée.
Néanmoins, cet intérêt ne devait pas être trop important
pour arriver à garder une certaine neutralité dans ma position.
Le choix m’est venu à un moment inattendu, quoi que
l’impérative de la trouver ne m’avait certainement pas quitté.
Issue d’un rencontre “hasardeuse” et fortuite, le sujet venait
répondre à un questionnement personnel, ancien et encore actuel, autour de
l’acte de lire et de la relation de plaisir que les individus pouvaient avoir
avec “le lire” et le livre-objet.
Ainsi, le choix du thème était arrivé en même temps que
celui de la personne - avec cette personne, puisqu’ils formaient tout deux un
ensemble “lecture - lecteur passionné”.
Mon premier contact avec B., avide de lecture et de livre,
avait été bon, et ma proposition d’un entretien, sans lui avoir dévoilé le
thème, l’avait immédiatement intéressé.
Je ne connaissais que peu de choses de B., si ce n’était son
âge, sa profession, sa situation familiale et bien sûr sa passion pour mon
thème...
A l’écoute de l’entretien et par le retour sur mes ressentis
pendant l’entretien et maintenant, le choix du thème aura clairement montré un
décalage entre, d’une part, mon intérêt relativement neutre (même si j’aurai
vécu des moments très forts), et d’autre part, une passion profonde et déclarée
par B.
Ce décalage important semble définir, en grande partie,
l’évolution de l’entretien, mais aussi, participe à un ressenti émotionnel
commun.
Même si l’intérêt que je portais pour la lecture et mon
sujet m’avait paru peu affectivé, d’où l’idée de facilité de neutralité et de
décentration, je me suis rendu compte que les réponses de B. m’avaient amener
inconsciemment à un retour plus ou dynamique vers moi et mes positions.
Yves BLANC parle de “coloration affective qui nous pousse à
ramener les choses à nous”[2]
L’écoute bienveillante et empathique devait alors demander
un effort insoupçonné, une maîtrise de soi, une détermination convaincue
d’aller vers l’autre...
En ayant porté mon choix sur l’ensemble “lecture - lecteur
passionné”, j’ai rapidement vécu une appréhension, surtout au départ de
l’entretien, causée en partie je pense, par une sorte de non maîtrise du sujet,
au regard de l’image que me renvoyait B. de sa connaissance générale et de son
intérêt profond pour celui-ci.
Cette idée est certainement venue conditionnée, en partie,
l’entretien et ma place dans celui-ci...
Ensuite, je m’aperçois que l’âge et le statut social de B.
ont aussi eu un impact sur ma conduite de l’entretien, m’ayant amené, à
plusieurs reprises, à une position “sur-respectueuse”, voir parfois de
soumission face B.
Aussi, ma volonté de rester neutre était déjà vaine...
Même si je n’ai pas eu de réponses (lu avais-je d’ailleurs
demandé et pourquoi ?), le choix de B. d’avoir accepté cet entretien est aussi
certainement à prendre en compte dans l’évolution de l’entretien.
Pourquoi avait-t-il accepté de se donner à cet entretien ?
Que venait-il y chercher ? De lui, de l’autre ?...
* Les conditions et les facteurs de l’entretien -
Le contexte - Ma
critique
Les conditions antérieures à la rencontre, l’appel à
l’entretien
Ma demande d’entretien à B. s’est faite de façon ouverte,
son imposition, sous forme de proposition.
Cela a semble-t-il permis à mon interlocuteur de faire un
choix personnel et serein, certainement favorable à la mise en place de cet
entretien...
Le facteur humain
Il est logiquement le premier point d’induction dans toute
relation.
Il regroupe non exhaustivement le sexe, l’âge, le statut
social et professionnel de chacun des interlocuteur, mais aussi la manière de
se présenter à l’autre par ses vêtements, son aspect physique, sa prestance,
son langage, ses gestes, son regard (...), les sensations (dans le sens du
terme anglais feeling), la Gestalt[3],
l‘habitus[4]...
Lors de notre rencontre chez moi, les sensations réciproques
m’ont semblé être bonnes.
Cependant, j’ai pu remarquer, de mon côté et dans ce contexte
précis, combien la prestance, la contenance, le langage et ma connaissance de
l’âge et du statut social de B. ont eu une incidence sur mes représentations et
sur l’entretien.
Roger MUCCHIELLI parle de “stéréotypes”, qui peuvent nous
amener à modeler notre façon de percevoir, de réagir face à l’autre.[5]
Laisser s’ouvrir la Gestalt de B. tout en me
défaisant de la mienne me demanda un effort soutenu et continu.
Les attitudes durant l’entretien auront aussi été
importantes.
Elles ont fait partie intégrante de celui-ci, comme étant
une communication non verbale, mais toute aussi “parlante”, quand on y portait
une attention aussi forte que l’écoute.
Elles auront pu apporter le climat de confiance essentiel,
mais aussi montrer les moments de sérénité ou de difficulté de part et d’autre…
Le lieu de l’entretien
Mon choix du lieu s’est porté sur mon domicile, dans mon
bureau.
J’avais choisi le bureau dans l’idée d’un lieu relativement
neutre de l’habitat, ayant un fonction symbolique de travail, de réflexion, et
de calme, en gardant cependant l’image d’un espace personnalisé, vivant,
sécurisant et que je ressentais favorable pour cette écoute.
Je pense que chaque lieu d’une maison a une fonction
symbolique, aussi dans le cadre de cet entretien enregistrer et faisant partie
d’un travail d’étude, le lieu-bureau me paraissait le mieux adapté. De même
pour le choix des chaises, plus propices je pense à l’écoute active et à
l’échange constructif que des fauteuils, que j’avais placer face à face sans
meuble pour les séparer, favorisant ainsi l’ouverture, l’échange direct et “non
hiérarchisé”...
Je me suis posé la question du choix de mon domicile par
rapport au sien.
Pourquoi avoir choisi de conduire cet entretien chez moi ?
Cette décision n’allait-elle pas à l’encontre d’une neutralité recherchée ?
N’avais-je pas choisi ce lieu pour me rassurer ? Me rassurer
face à l’exercice, mais aussi dans une idée (inconscient ?) de maîtrise, de
conduite ? Et alors dans ce cas, B. avait-il pu se sentir en sécurité ?
N’avais-je pas non plus choisi ce lieu “en réponse” au lieu
où j’avais fait la connaissance de B. c’est à dire chez lui ?... (Idée
inconsciente de “don et contre don”, le don étant pour Marcel MAUSS, à
l’origine de l’échange[6]…).
Cependant, il me semble que ce lieu aura été favorable à
l’échange et à l’entretien.
L’Accueil
Il me fallait travailler l’accueil et la prise de contact
avec B. afin de le rassurer (mais aussi de me rassurer) avant l’entretien, tant
cet aspect essentiel peut instantanément définir positivement ou pas la suite
de la rencontre.
Aussi, pouvoir renvoyer à B. ma satisfaction de le voir, ma
gratitude pour sa présence, échanger dans un sens profond de respect et de
bienveillance aura permis à chacun d’appréhender la suite sereinement.
Le temps, la durée
Quand allions-nous nous rencontrer ?
Lorsque B. avait répondu favorablement à ma demande
d’entretien, je lui avais involontairement proposé de choisir le jour et
l’heure.(Encore un idée de “don et contre don” renversée…).
Cela aura peut-être permis à B. de se sentir partie prenante de l’entretien dans ce choix.
De plus, mon acte involontaire aura aussi permis une
démarche égalitaire commune et un retour vers lui, pour ma part, en réponse à
son acceptation à ma demande.
En ce qui concerna la durée de l’entretien, les 30 minutes
annoncées m’ont paru bien adaptée à cet entretien.
Elles m’ont permis d’être disponible et auront éviter un
effet possible de saturation.
En revanche, B. a pu exprimer qu’il aurait bien poursuivi
l’entretien.
La raison principale de nos positionnements contraires est
que la conduite de cet entretien m’a demandé un travail de concentration pour
mener l’entretien, écouter, relancer...
B. m’a paru être dans une position plus paisible, soutenue
par sa passion et son envie de l’évoquer, de la partager...
Ce décalage ressenti m’a peut-être amené à respecter
scrupuleusement le temps “imparti”.
L’enregistrement
L’idée d’enregistrer induit automatiquement une dose de
stress supplémentaire, comme s’il y avait un autre paramètre à gérer, autant du
côté de l’écoutant que de l’écouter.
Même si le conteste était incomparable avec un entretien de
type journalistique n’induisant pas obligatoirement bienveillance et écoute, souvent
à la recherche d’un information “calibrée” en direction d’un public
“standardisé”, l‘élément matériel “magnétophone” appela certainement pour nous
deux, une forme d’insécurité momentanée, peut-être due à l’idée d’un non
contrôle de soi par cette trace moins éphémère dans cette relation verbale…
Il aura fallu attendre la quatrième question et une réponse
plus profonde de B. pour commencer à l’oublier...
* La conduite de l’entretien
Le choix de décrire cet entretien à l’imparfait et au
passé simple de l’indicatif amplifie l’idée d’un instant unique, profondément
vécu et aujourd’hui réfléchi.
L’entrée dans l’entretien fut difficile pour moi, comme pour
mon interlocuteur.
J’avais choisi d’introduire l’entretien par une question
basique, que j’avais pressenti d’ouverture, amis qui s’avère trop large :
“lisez-vous souvent ?”
B. prit du temps pour répondre car il semble avoir du mal à
structurer une réponse adaptée à cette question trop ouverte.
La notion de question ouverte était intéressante car elle amenait
l’interlocuteur à penser sur ses pensées, mais, à ce moment, B. n’avait pas
encore assimilé le thème et sa pensée.
Je me rendis compte de la difficulté de cette question posée
à ce moment.
Cependant, certainement sous la pression d’une première
réponse, du magnétophone, de l’attente qu’il dut ressentir, il réussit à amener
clairement sa position ouvrant un champ constructif et intéressant.
Je m’aperçus, à l’écoute de la cassette, que je n’avais pas
entendu profondément sa réponse comme si j’eus déjà dans ma seconde question,
dans une ligne de conduite trop stricte de cet conduite d’entretien (gérer le
temps, la chronologie des questions, tout en respectant la notion de “non-directivité”).
A la seconde question, B. commença à évoquer son plaisir de
lire et son vécu à travers la lecture, ses émotions éprouvées, son
auto-satisfaction.
Durant tout l’entretien, B. évoquera 13 fois, le notions de
plaisir et je n’aurais pas toujours réussi à rebondir sur cette “idée-force et
profonde”...
Mes premières tokens semblèrent de complaisance et
eurent pour but de me rassurer, plus que B.
Dans cette première partie de l’entretien, je ne me sentais
pas réellement libérer, même si je cherchais à me concentrer sur ce qu’il
disait...
Progressivement, je l’écoutai réellement et partageai de
qu’il évoqua.
Mes tokens suivant furent alors plus authentiques, je
souhaitai que B. continue à parler de lui...
Ma première reformulation permit un approfondissement
du sujet et amena B. à s’ouvrir un peu plus.
Je sentis B. complètement à l’aise, parlant librement et
positivement du sujet.
Pour ma part, je ressentis moins d’enjeux et accédai à une
forme d’empathie qui me plaça dans une autre position dans l’entretien.
La troisième question concernant le genre de lectures montra
la limite du questionnaire “arrêté”.
Il me rassurait mais pouvait se montrer enfermant pour mon
interlocuteur.
B. sembla vouloir continuer à évoquer et à faire partager sa
passion au sens large.
Aura-t-il alors remarqué ma difficulté à me défaire du
questionnaire et à ouvrir plus simplement mon écoute ?
A la quatrième question, je tombai dans le piège de la reformulation
orientée, interprétée, comme si je n’eus pas réussi à rebondir sur ses
propos...
B. ramena le sujet à lui et à ce qu’il souhaita en dire...
Je l’écoutai, j’amenai des tokens pour lui faire par
de mon attention bienveillante, de mon intérêt pour lui.
Cela sembla le pousser à continuer, ce qu’il fit volontiers.
Ma cinquième question démontra un échange unilatéral engagé
et un climat de confiance instauré.
Elle fut reformulée par B. : “Qu’elle part prend la lecture
dans votre quotidien ?”, B répondit : “Vous voulez parler de l’acte de lire ?”,
je lui répond “oui”, acceptant la reformulation, ce qui ouvra
complètement le champ de parole à B.
Une nouvelle relance par reformulation amena B. à
approfondir sa parole en réévoquant son plaisir : “si je vous ai bien compris,
vous laissez souvent seul, le plaisir guider votre choix ?”…
Mais je n’arrivais pas à le reprendre, et semblai perdre ma
neutralité trouvée…
La reformulation précédente m’avait-elle déconcentré
?
A ce moment, je constatai la confrontation des Gestalts,
ses plaisirs et mes non-plaisirs ou encore sa passion et mon exercice...
La sixième question attendra une réponse de B. qui durera
plus de 6 minutes, entrecoupées de tokens “empathiques”.
Cet espace d’évocation de B. me captivera, oubliant le cadre
horaire, laissant naître une émotion commune.
B. s’était saisi de cette question, nous de sa réponse...
Je remarquai à cet instant mon implication plus franche dans
l’entretien, “navigant” entre écoute active, faisant des liens entre la parole
de B. pour construire une relance, et écoute plus flottante, repérant ce que
disait mon interlocuteur et ce qui se répétait : “son plaisir”...
A la huitième question sur la relation à l’objet, B. en
parla de façon profonde.
Je n’eus pas à réellement réussi le suivre et tentai de le
relancer sur autre piste ce qui diluera la force de son propos.
L’avant dernière question traitait des non-lecteurs. Je
ressentis dans l’échange un nouvel affrontement des Gestalts mais
réussis à retrouver l’empathie et la bienveillance favorable à la réassurance
de B. et ma compréhension...
Ce conflit “inter-perception”venait me signifier un point
plus sensible et affectif du thème pour ma part (alors que je m’en croyais
consciemment distant !), m’amenant à une perte momentanée de recul et de
neutralité…
Ma dernière question se montra trop large : “Avez-vous autre
chose à évoquer sur ce thème”, B. dit sa difficulté par rapport à cette
question.
Je le compris, conscient de l’erreur, mais je l’encourageai
à s’engager : “allez-y”, je dépassai une neutralité bienveillante pour
l’encourager.
B. rebondit et approfondit sa notion de plaisir.
La fin de l’entretien était déjà là.
Je remerciai encore une fois B. qui me fit part d’un sentiment
mêlé de satisfaction de la rencontre et de petite déception de l’arrêt de
celle-ci...
Un peu plus tard, il revenait sur une sensation forte de
s’être entendu parler…
La réécoute et l’analyse de cet entretien m’amène à
pointer la difficulté de la notion de “non-directivité”, mais aussi et surtout
l’ampleur de ses possibilités dans mes rencontres quotidiennes...
Pour conduire un entretien “non-directif”, il faut
arriver à prendre conscience de sa propre Gestalt pour s’en séparer et de
décentrer sur l’autre le temps de cette relation.
L’écoute authentique demande disponibilité, humilité,
volonté et respect de l’autre dans son “entièreté”.
Cependant son authenticité et son appropriation ne
peuvent se faire que par sa réelle et profonde compréhension, ainsi qu’une
persuasion de ses bénéfices.
Il faut alors prendre conscience de l’idée de “recevoir et de recueillir ce que
l’autre dit, entendre ce qu’il aurait du mal à dire, …, savoir relativiser et
tenir compte de toutes les significations venant de sa propre personne, de
façon à pénétrer les significations telles que l’autre personne les éprouve…”[7].
Enfin, pour que l’écoute authentique réussisse et
prenne sens, il lui faut certainement un objectif défini et réaliste
(pourquoi suis-je là,
pourquoi est-il là ?…).
Le support du questionnaire m’aura montrer ses
limites. Même s’il aura été “ossature” de l’entretien, il m’aura parfois
interdit l’accès à la “globalité”de mon interlocuteur.
Peut-être qu’alors, aurait-il fallu que je puisse
mieux m’adapter à sa parole, en utilisant beaucoup plus d’écoute flottante à
certains moments…
Durant cet entretien, j’ai pu entrevoir l’évolution
de ma position, passant par différente phases : l’appréhension, l’écoute en
surface (trop concentrer sur le cadre, trop peu concentrer sur mon
interlocuteur), l’entrée progressive dans l’écoute authentique, le partage
émotionnel, l’empathie...
Pendant ces différentes phases, j’ai pu remarquer des
erreurs au niveau de la reformulation ou des tokens “de complaisance”, ceux-ci
arrivant parfois trop tôt, trop tard, à mauvais escient, empêchant alors
l’autre de construire sa pensée, ou le laissant seul, ou encore démontrant ma
mauvaise écoute[8].
Ces erreurs étaient certainement dues à cette
première écoute de surface, à la mauvaise prise en considération de la
possibilité de conflits des Gestalts, à ma représentation de l’interlocuteur
(non écoute des “idées-forces”, empathie trop faible à certains moments,
neutralité bousculée par mes affects…).
En revanche, j’ai constaté des reformulations
réussies, respectueuses de la parole de B., lui permettant d’affiner ses
propos, pour son plaisir, pour notre plaisir, des tokens l’amenant à continuer
à découvrir seul et ensemble ses pensées...
Cet entretien, dans ce cadre contextuel, m’a
certainement montré une force possible de l’écoute et du partage relationnel.
L’entretien
dans l’établissement dans lequel je travaille – Liens avec l’expérience de
cette conduite d’entretien
Je travaille dans un Institut de Rééducation Psychothérapique
auprès d’enfants entre 6 et 11 ans, filles et garçons, d’intelligence normale,
présentant des troubles du comportement, de la conduite et de la personnalité,
en échec scolaire grave (souvent plus de 3 années de retard) qui sont orientés
par la Commission Départementale de l’Éducation Spéciale.
Mon intervention comporte une partie essentielle de
l’accompagnement et de l’aide aux enfants dont j’ai la charge, il s’agit de
l’entretien.
Dans ce cadre, je suis amené à pouvoir conduire 2 types
d’entretien:
-
l’entretien d’aide en direction des enfants
-
l’entretien avec les familles, devant permettre d’entendre les souhaits et
les besoins de celle-ci, de construire, puis de suivre ensemble le projet
individualisé de leurs enfants, maintenir un lien réel et symbolique rassurant
l’enfant.
L’entretien d’aide en direction des enfants
Beaucoup d’enfants accueillis dans cet établissement
témoignent des difficultés relationnelles conséquentes, l’échange, qu’il soit
verbal ou autre, est souvent compliqué dans leur quotidien.
Certains d’entre eux ont un accès très limité à la parole,
du fait de difficultés d’extériorisation, de verbalisation, de sentiment de
dangerosité, d’un langage pauvre, de problème de conceptualisation ou tout
simplement de compréhension...
Ceci est certainement l’une des causes des problèmes de
comportement qu’ils montrent.
Aussi, ces comportements sont souvent des langages peu
élaborés...
Mon travail, lors de ses entretiens, est d’offrir un espace
de parole cadré et rassurant, pouvant permettre à l’enfant de prendre confiance
en l’adulte est en lui-même, d’expérimenter progressivement avec ses mots que
la parole peut aider s’ouvrir et extérioriser ses tensions internes, ses soucis
qui le font parfois éclater, prendre conscience de ses propres difficultés pour
les dépasser...
Ces temps sont individualisés, privilégiés, duels...
Cependant, je prends conscience que ces moments définis
demandent du temps, de la disponibilité, beaucoup de bienveillance, une écoute
“parfaite” et neutre pour entendre les réelles difficultés de l’enfant, lui
renvoyer un climat rassurant est encourageant...
Mais mon écoute était toujours aussi disponible ?
De plus, je me rends compte que des notions comme
l’émotivité, la subjectivité ou encore la représentation symbolique dans le
langage[9]
restent des obstacles souvent puissants à la bienveillance, comme à la
compréhension...
L’adulte n’arrive pas toujours à écouter l’enfant en
profondeur, il prend souvent sa place, interprétant parfois trop rapidement ce
qui est déposé...
L’idée de décentrage, mais surtout au la notion de
Gestalt, me paraissent importantes dans ce contexte, tant j’ai pu constater
que parfois l’éducateur, dans un postulat d’éducabilité, cherche, dans son
échange avec l’enfant, à le ramener vers une représentation “normative”, proche
de la sienne oubliant souvent, de manière involontaire, celle de l’enfant.
Je m’aperçois que ces entretiens restent parfois difficile
pour certains enfants, comme pour moi, du fait certainement de cette
complication à se retrouver, tous deux, dans une notion de neutralité
constructive et aidante, tout en gardant sa place...
En effet, il m’arrive souvent de “diriger” plus que de
“conduire” ces entretiens, imposant parfois mes idées, mes souhaits, sans alors
réellement entendre les besoins intrinsèques de l’enfant...
Enfin, je suis parfois confronté à d’autres entretiens plus
informels “répondant” à une urgence (difficultés subites de l’enfant, passages
à l’acte...) qui ne permet pas toujours cette démarche d’écoute
bienveillante...
Dans le cadre de ces entretiens, je pense que la notion de “non
directivité” peut avoir une fonction sécurisante et stimulante pour
l’enfant ainsi que pour l’éducateur.
Elle peut permettre à l’enfant d’avoir un réel sentiment de
prise en considération ouvrant une possibilité de s’exprimer librement,
sereinement, dans son langage, dans ses ressentis...
Elle permet à l’éducateur une attitude plus ouverte, plus
proche de l’enfant, tout en lui apportant un cadre de manœuvre...
L’entretien avec les familles
Dans le cadre de mon travail, je suis amené à rencontrer
régulièrement les familles de chacun des enfants dont j’ai la charge dans
l’établissement, afin d’établir, mais aussi de suivre le projet de ceux-ci.
Ces rencontres permettent de garder un lien fort avec les
familles, dans une idée d’échanges et de transpositions réciproques en autour
de l’enfant...
Ces rencontres peuvent aussi être le lieu de remise au point
face à une difficulté, d’évocation de problèmes familiaux plus ou moins
importants, mais aussi parfois de désaccords...
Ces entretiens sont souvent menés par un binôme
éducateur-instituteur.
L’annonce ou la découverte de difficultés importantes de
leurs enfants aux parents est toujours, pour ceux-ci quelque chose de
difficile...
L’obligation d’orientation de leurs enfants en établissement
spécialisé les met souvent dans une position de soumission et un sentiment
d’injustice et d’incompréhension.
Ces rencontres sont souvent, surtout pour les premières, un
lieu de résurgence de ce double-vécu difficile.
Cependant, je me rends compte que nous ne savons pas
toujours être à cette écoute...
Dans ses entretiens, nous gardons toujours une distance
sécurisante, repositionnant parfois “trop bien” le rôle de chacun (ceci pouvant
stigmatiser involontairement les parents dans la difficulté de leurs enfants),
ce qui nous empêche certainement d’entendre les réelles demandes des familles.
Et pourtant, ces demandes, si elles ne sont pas prises en
compte, auront certainement une incidence sur la prise en charge de l’enfant,
sur la confiance de la famille vis à vis de l’établissement...
L’importance de l’accueil et du cadre matériel de ces
rencontres peut devenir un obstacle à l’entretien.
En effet, ces rencontres ne se passent qu’à l’intérieur de
l’établissement.
L’aspect symbolique
de la prise en charge de l’enfant est respecté, mais ce lieu ne peut-il pas
pouvoir induire une certaine place “hiérarchique” des professionnels sur les
familles : “ce sont les accueillant qui proposent (imposent ?)..., dans ce lieu
?...
Comment le vivent certains parents.
Enfin, je me rends compte que, même involontairement
(inconsciemment ?), malgré nos soucis de neutralité et de respect, nous sommes
parfois habités de préjugés, d’à priori qui filtrent l’échange...
De plus, lors de moment de différents ou de désaccords,
l’écoute est fortement parasitée.
A ces moments qui peuvent amener à se retrancher
(involontairement, inconsciemment, par un mécanisme de défenses, de résistances
?) sur ses positions connues et rassurantes, “la concurrence des intérêts
nuit à l’entretien, empêche l’écoute et là compréhension”[10].
Encore une fois, je me suis aperçu, à maintes reprises, que
l’incompréhension peut naître d’une représentation symbolique du langage
différente, une “non compréhension commune” (par un cadre de référence
linguistique différent ?)...
Comment fais-je pour accompagner les familles dans
l’accessibilité à mon langage et les
rassurer dans cet échange, que fais-je pour comprendre de manière empathique le
leur ?
Je prends conscience aujourd’hui, après cette expérience de
la “puissance constructive” de la notion de “non directivité” dans
l’entretien, que ce dernier demande toute mon attention dans sa préparation,
mais aussi par ma participation, ma disponibilité, mon ouverture, mon
authenticité, ma compréhension et non empathie, ce, pour permettre un échange
plus fort, plus vrai, plus respectueux, plus
près des besoins de mon interlocuteur.
Conclusion
Le travail que j’ai mené m’a amené à pouvoir plus
précisément me représenter la notion d’enjeux possible dans l’entretien.
En effet, cet espace relationnel spécifique peut être le
théâtre de mouvements, souvent inconscients, de la part de l’écoutant comme de
l’écouté (transfert, contre transfert, identification, ambivalence, soumission,
résistance...) liés à leurs affects
personnels, puis à leurs interactions.
Il est aussi chargé de filtres ou d’obstacles dont il faut
pouvoir avoir conscience (émotivité, subjectivité, interprétation, différence
de cadres de référence et de compréhension...), ceci, dans le but de les faire
disparaître ou peut-être de les prendre en compte, pour ouvrir un entretien
profond, authentique...
La notion de “non directivité” me semble être un
apport essentiel dans la conception de l’entretien et la prise en considération
de l’interlocuteur.
Elle peut permettre “d’assimiler” ces mécanismes psychiques
et ces filtres dans l’espace de l’entretien...
Mais surtout, elle me ramène à cette idée forte d’humilité
que doit avoir l’éducateur dans sa fonction et dans sa relation à l’autre...
Je me serais aperçu que, même si l’entretien demande une
préparation, réelle pour construire un cadre, symbolique dans un message
d’engagement, l’authenticité de l’écoute que perçoit et reconnaît l’autre,
tiendra aussi au lieu de cadre rassurant, contenant, encourageant,
constructif...
Aussi, ce travail en engageant pratique, autocritique et
réflexions autour de la conduite d’un entretien vient, par une prise de
conscience plus forte de ses possibilités et de sa portée, enrichir mon
expérience professionnelle et mon cheminement de formation.
Le processus de ce travail n’a permis de me confronter à une
réalité “commandée”, puis d’inciter un mouvement de prise de recul et de
réflexion n’amenant à pouvoir, à présent, repenser, réajuster ma conduite
d’entretien, et la transposer dans la pratique professionnelle.
Les bénéfices et les enrichissements de cette expérience m’ont
déjà permis d’améliorer mes entretiens...
En effet, depuis ce travail, j’ai déjà rencontré plusieurs
enfants et familles, et j’ai pu observer, par une conduite empreinte de cette
expérience, de nombreux changements conséquents...
Ce travail, lié à la relation particulière avec B.,
aura été pour moi une expérience forte, riche, et insoupçonnée...
Bibliographie
- “RELATION D’AIDE ET FORMATION A
L’ENTRETIEN”
- Jacques SALOME - PUL 1993
- “L’ECOUTE” - Yves BLANC - Editions
Morrisset 1997
- “L’ECOUTE, Attitudes et techniques”
- Jean ARTHAUD - Chroniques sociales LYON 1995
- “L’ENTRETIEN DE FACE A FACE DANS LA
RELATION D’AIDE”
- Roger MUCCHIELLI - ESF 1994
- DICTIONNAIRE FONDAMENTAL DE
PSYCHOLOGIE
- H. BLOC, E. DEPRET, A. GALLO, P. GARNIER,
M-D GINESTE,
P. LECONTE, JF. LE NY, M. REUCHLIN, D. CASALIS
- LAROUSSE BORDAS 1997
[1] Carl Rogers (1902-1987), psychologue américain, introduit en 1951 dans son livre “Client-centered thérapie” (la thérapie centrée sur le client) sa méthode et le concept de l’entretien “non directif”, centré dur le sujet.
[2] “L‘Écoute” - Yves BLANC - Éditions Morrisset 1997
[3] La Gestalt est un terme issu de la Gestalthéorie ou théorie de la forme qui met l’accent sur les aspects de configuration et de prééminence de la totalité dans le domaine de la perception. Gestalt signifie en allemand forme (Dictionnaire de psychologie Larousse).Dans le contexte de ce travail, le terme Gestalt définie la configuration particulière que chacun a au monde, et comment celle-ci est perçue…La personne qui conduit l’entretien doit être amené à se défaire de sa propre Gestalt pour laisser s’ouvrir celle de son interlocuteur.
[4] L’habitus, au sens sociologique de Pierre BOURDIEU, “système de perception, d’appréciation, d’action…”
[5] “L’Entretien de face à face dans la relation d‘aide” - Roger MUCCHIELLI - ESF Éditeur 1984. Le stéréotype, en psychologie sociale est un ensemble de modèles affectivement chargés, lié à une représentation d’un groupe social.
[6] “L’Essai sur le don” - Marcel MAUSS - Paris PUF 1968
[7] “Relation d’aide et formation à l’entretien”- Jacques SALOME - PUL 1993.
[8] Lien avec la notion de “bonne mère” ou encore “mère suffisamment bonne” de D. W. WINNICOTT - De la pédiatrie à la psychanalyse - Payot 1969 : Winnicott précise que “la bonne mère est celle qui intervient à bon escient… Trop tôt, elle empêche l’enfant de construire ses représentions et son élan vers les autres, trop tard, elle le laisse succomber au désespoir. A bon escient, l’enfant s ‘ouvre et se construit…”
[9] La représentation symbolique du langage est une notion apportée par J. LACAN.Chaque individu n’a pas toujours la même compréhension d’un mot, LACAN parle de signifiant, lié à la propre histoire, les propres affects de chacun...
[10] “Relation d’aide et formation à l’entretien” - Jacques SALOME - PUL 1993